CHAPITRE 14
« Vous avez l’air plus en forme ce matin ! »
Spence se retourna à l’entrée d’Ari dans la pièce. Elle portait une nouvelle combinaison verte de style tunique avec un col montant. Ses cheveux dénoués retombaient sur ses épaules. Elle était l’image même de la santé et de la bonne volonté.
« C’est vrai. Je sors.
— Quand ?
— Maintenant : c’est-à-dire dès que l’infirmière sera revenue avec mes vêtements. »
Elle pencha la tête d’un côté. « Vous êtes sûr que cela ira ?
— Bien sûr. Je n’ai fait que glisser dans la douche. Je vais très bien. Et puis, si je reste ici plus longtemps, je vais mourir de faim. La nourriture est… je vous passe les détails.
— Vous avez toujours une drôle de voix. Votre pauvre gorge…
— Le Dr Williams dit que cela va s’arranger dans un jour ou deux. Le produit chimique n’est pas toxique mais il n’est pas fait pour être inhalé en grande quantité, c’est tout. Il dit que si j’évite de me promener sous la pluie je n’attraperai pas de pneumonie. Il n’y a aucune raison de me garder ici.
— Vous arrivez à respirer correctement ? Est-ce que cela fait mal ?
— Pas trop. Mais qu’est-ce qu’il y a ? Vous ne voulez pas me voir sortir d’ici ?
— Si, bien sûr. Mais je ne veux pas que vous risquiez une rechute.
— Une rechute ?
— Vous savez… un autre accident, quel qu’il soit. »
Spence tourna son regard vers le plafond pendant un moment avant de reprendre la parole. Et quand il le fit, ce n’était plus sur le ton de la plaisanterie.
« Ari, que pensez-vous qu’il m’est arrivé ?
— Honnêtement, je ne sais pas.
— Que vous a dit le Dr Williams ?
— Rien. Il est aussi perplexe que tous les autres. »
Cela le fit réfléchir. « Écoutez-moi, Ari, je…» Il fut interrompu par l’arrivée de l’infirmière apportant ses vêtements.
« Et voilà. Comme neufs, M. Reston. » Pour le personnel médical, tout le monde s’appelait monsieur. C’était la seule façon de distinguer les docteurs en médecine de tous les autres, et ils étaient nombreux sur Gotham. Elle déposa la combinaison bleu et or soigneusement pliée au pied du lit.
« Spence, je vais attendre dehors pendant que vous vous changez », dit Ari et elle sortit avec l’infirmière.
Quand il sortit de l’infirmerie, il avait l’air en pleine forme et reposé, mieux qu’Ari ne l’avait jamais vu. Elle se demanda si elle ne s’en était pas trop fait à son égard ; c’était sûrement lui qui avait raison. Il tourna la tête vers elle quand il la vit et elle aperçut le côté de son visage qui avait pris le « coup de soleil ». Non, elle avait raison après tout de s’inquiéter. Il avait besoin qu’on s’occupe de lui. Au moment où Spence retrouvait Ari sur le seuil de l’infirmerie, le Dr Williams vint prendre congé de son patient. « J’espère que vous réfléchirez à ce que je vous ai dit, Dr Reston. Ma proposition est toujours valable.
— J’y penserai. Mais je ne crois pas que cela me fera changer d’avis. »
Le médecin hocha la tête. « Cela dépend de vous. Je suis toujours disponible.
— Je vous en remercie. »
Le panneau s’ouvrit. Spence et Ari sortirent. « Au revoir, docteur. J’essaierai d’éviter les ennuis pendant au moins une semaine.
— Si vous le voulez bien ! J’ai besoin des lits pour les malades. » La fermeture du panneau interrompit la conversation.
« Alors, où allons-nous ? demanda Ari. Que diriez-vous d’un déjeuner ? Je vous invite.
— D’accord pour le déjeuner, mais c’est moi qui invite. J’ai une faveur à vous demander.
— Très bien. Où voulez-vous aller ?
— Je suggérerais Les Beaux Esprits. Cela vous va ?
— Mon Dieu ! Cela ne doit pas être une faveur ordinaire. Mais bon, allons-y. »
Ils empruntèrent les avenues de Gotham situées au niveau dit « de récréation », prirent plusieurs ascenseurs et bifurquèrent le long d’un couloir pour atteindre leur destination. Quand ils arrivèrent sur l’esplanade, ils virent qu’une file de personnes attendaient pour une table au restaurant.
« Ah ! l’heure idéale ! », dit Spence. « C’est l’ennui avec une bonne cantine. Le bouche à oreille fonctionne et elle est vite envahie par les touristes. Vous préférez aller ailleurs ?
— Cela vaut la peine d’attendre. Restons. »
La file avançait lentement et ils passèrent le temps à bavarder sur des sujets courants concernant la vie et les nouvelles à bord. Spencer ne reparla pas de la raison de ce rendez-vous et Ari attendait qu’il y revienne quand il le jugerait bon.
Enfin, ils furent conduits vers une petite table et ils s’assirent l’un en face de l’autre devant une nappe blanche bien amidonnée. Spence regarda à peine le menu et le mit de côté. Ari pensa qu’il s’apprêtait à développer ce qu’il avait commencé à lui expliquer à l’infirmerie.
« Ari…» Le garçon, vêtu à l’européenne d’un costume noir, chemise blanche et nœud papillon, s’avança pour prendre la commande.
« Qu’est-ce qui vous ferait plaisir, monsieur ? » L’accent français lui-même était déjà assez remarquable. Spence pensa que les serveurs devaient être recrutés autant pour leurs talents d’acteur que pour leur efficacité. Ils semblaient être la fine fleur de la profession, bien meilleurs que tous ceux que Spence avait pu voir sur la Terre. Peut-être ces serveurs étaient-ils réellement français, après tout ?
« Nous prendrons les artichauts vinaigrette pour commencer, et puis la sole.
— Avec des petits pois nouveaux ou du chou-fleur, monsieur ?
— Des petits pois. Et j’aimerais aussi un beaujolais.
— Une bouteille, monsieur ?
— Une demi-bouteille suffira, merci. »
Ce n’est qu’après le départ du garçon qu’il réalisa qu’il n’avait pas consulté son invitée au sujet de la commande. « Je suis confus. Je ne vous ai même pas demandé ce que vous vouliez. »
Elle se mit à rire. « Ne soyez pas confus. Vous lisez mes pensées.
— De telles occasions sont si rares, j’ai bien peur d’avoir perdu l’habitude.
— Et ne vous excusez pas. Il n’y a vraiment pas de quoi s’excuser.
— Tout de même, la prochaine fois c’est vous qui aurez la parole.
— Je ne me plains pas, Spencer. Il faudrait qu’une fille soit vraiment stupide pour refuser une telle invitation. »
Le garçon revint avec le vin. Il montra la bouteille à Spence et celui-ci fit semblant de lire l’étiquette. Il la déboucha, en versa un fond dans le verre de Spence et il lui tendit tout en posant le bouchon à sa portée. Spence prit le bouchon et le renifla sans trop savoir ce qu’il était censé sentir, puis il but une gorgée de vin. Il avait une bonne rondeur et réchauffait le palais en dégageant un charme puissant.
« Très bon », dit-il. Le garçon remplit à moitié leurs verres et se retira.
Les verres étaient là devant eux, jetant une légère ombre rouge sur la nappe blanche. Spence ne portait pas la main à son verre, alors Ari croisa les mains sur la table et attendit.
« Je veux vous dire quelque chose : c’est au sujet de ce qui s’est passé.
— Vous n’avez pas besoin d’en parler.
— Mais je veux en parler. Je veux que vous sachiez. » Ses yeux quittèrent la surface blanche de la nappe pour aller rencontrer son regard.
« Bon, j’écoute, dit-elle gentiment.
— Ari, je ne sais pas ce qui m’arrive. Pas vraiment. » Il la regarda et pendant un instant elle put lire la peur sur son visage. Il secoua la tête et la peur s’éloigna, repoussée de nouveau derrière une sorte de barrière. « Mais je ne crois pas que cela vienne de moi. Du moins pas complètement.
— Oh !
— Je sais ce que pense le Dr Williams. Et je devine à peu près ce qu’il a dû vous dire. Mais il oublie que j’ai aussi une formation en psychologie. Je connais les symptômes et les causes.
« Je ne pense pas correspondre au profil. Je veux dire que je ne suis vraiment pas maniaco-dépressif et je ne suis pas schizophrène. Du moins à mon avis. »
Le garçon revint et déposa devant eux les artichauts. Il déroula les serviettes et les plaça sur leurs genoux, réarrangea les couverts en argent et disparut.
Spence poursuivait comme si le garçon n’avait pas existé. « Maintenant, je me rends compte que cela me serait très difficile de prouver que je suis complètement sain d’esprit.
— Personne ne pense que ce n’est pas le cas.
— Le Dr Williams pourrait avoir quelques réserves là-dessus.
— C’est stupide. Il est inquiet, et moi aussi. Reconnaissez, aussi, que nous n’avons pas beaucoup de preuves.
— Je suis d’accord. Durant ces dernières semaines, j’ai moi-même mis en doute mon état mental. Je le sentais se détériorer et je ne pouvais rien faire pour l’en empêcher. C’est comme si ma raison m’abandonnait par petits morceaux, mais je ne m’en suis pas rendu compte tout de suite. J’ai essayé de me dire que c’était le surmenage, la pression, la nouveauté de l’environnement. Mais je ne le crois plus maintenant. »
Il goûta l’artichaut. Ari, qui avait continué à manger, posa sa fourchette. « J’ai l’impression que je ne vous suis pas, Spence. Peut-être vaudrait-il mieux reprendre depuis le début.
— Vous avez raison. » Il acquiesça de la tête et avala quelques bouchées. « Je n’arrive pas à me souvenir du début. Il y a des tas de choses dont je ne me souviens pas. Des pans entiers de ma mémoire ont disparu.
« Mais cela a commencé après mon arrivée ici, peu de temps après. Quelques semaines, au plus. Cela a commencé avec les rêves.
— Les rêves ?
— Ne me demandez pas ce qu’ils contenaient, parce que je ne sais pas. Par moments, je crois être sur le point de me souvenir : je peux presque voir une image dans ma tête. Ce peut être un mot ou un bruit qui sert de déclencheur, et puis plus rien. Tout s’efface.
« Mais je peux vous dire une chose : ce sont des rêves étranges et terrifiants. Je me réveille en tremblant, baigné de sueur froide. Une fois ou deux, j’ai cru crier. Je sais que j’ai pleuré en dormant.
« Je n’arrive pas à voir dans tout cela un schéma régulier. Cela peut se produire pendant une séance – d’expérimentation, comme vous savez – d’autres fois quand je suis endormi chez moi. Mais le choc émotionnel demeure un certain temps : il pèse sur moi comme une présence fantôme qui me hante.
— C’est horrible !
— C’est de pire en pire.
— Votre commande, monsieur. » Le garçon apparut soudain et déposa devant eux plusieurs plats brûlants. « Bon appétit, monsieur, mademoiselle.
— Euh…, dit Spence. Il y a quelque chose qui ne va pas.
— Quoi ? dit Ari, craignant que Spence ne soit de nouveau victime d’un affreux maléfice.
— Du vin rouge, avec la sole. Comme c’est maladroit de ma part. » Il eut une sorte de sourire désabusé. « Ari, vous êtes en train de déjeuner en face d’un vrai plouc. »
Elle se mit à rire et ce rire résonnait en cascade comme une musique. « À bas les convenances. Cela m’est bien égal. D’ailleurs vous savez ce qu’on dit ?
— Non.
— Le conformisme aveugle est l’apanage des petits esprits.
— Ah ! vraiment ?
— Eh bien, c’est ce que pensait Emerson. C’est lui qui l’a dit. »
Ils rirent tous les deux et Ari vit que les rides causées par la tension autour de ses yeux et de sa bouche s’atténuaient. Il se laissait aller : la glace était rompue. Il lui avait confié son secret : maintenant elle aurait sa confiance. Elle aussi se détendit, tout en réalisant que depuis qu’ils étaient à table elle était restée assise sur le bord de sa chaise.
« À votre santé ! » dit Spence en levant son verre qu’il fit tinter contre le sien. Il but une gorgée et attaqua la nourriture avec l’enthousiasme d’un homme mis en appétit. Ils mangèrent en silence jusqu’à ce qu’il repousse son assiette d’un geste résolu. Il avait pris une décision.
Il reprit volontairement le cours de sa confession. Les mots se bousculaient comme les eaux d’un torrent : les vannes étaient ouvertes. Ari écoutait, fascinée.
« Les pertes de conscience ont commencé il y a une semaine – il y a cinq jours pour être précis. Rien dans mes antécédents familiaux ne pouvait laisser prévoir une telle condition. Pas de cas d’épilepsie, de catalepsie ou autre chose de ce genre. Tout cela ne vient que de moi, quelle qu’en soit la nature.
« Ce qui se passe pendant ces pertes de conscience, je n’en ai aucune idée. Je ne sais pas non plus exactement combien de temps elles durent. J’estime que c’est entre huit et dix heures, en remontant de l’heure du réveil à la dernière chose dont je me souvienne avant de m’endormir. De toute évidence je ne suis pas inactif pendant ces périodes, à en juger par le fait que je peux me trouver dans des situations plus ou moins difficiles. » Il porta la main au côté rougi de son visage.
« Ces actes d’autodestruction, comme les appelle le Dr Williams, sont bien connus dans la littérature psychologique – en particulier quand ils sont associés à la perte de conscience ou à l’amnésie. Il n’est pas inhabituel qu’une perte de conscience résulte d’un traumatisme causé par un acte violemment destructeur ou menaçant. En d’autres termes, le cerveau bloque le souvenir d’un tel acte parce qu’il est tout simplement trop douloureux.
« Dans mon cas, cependant, je crois qu’il se passe exactement l’inverse. Je ne peux rien prouver dans un sens ou dans l’autre, mais quelque chose en moi me dit que j’ai raison quant à l’hypothèse. J’y repensais la nuit dernière à l’infirmerie. Ce n’est qu’une intuition plutôt viscérale, mais c’est tout ce que je possède pour le moment.
— Je ne suis pas sûre de comprendre.
— Ce que j’essaie de dire, je crois, c’est que dans mon cas, les pertes de conscience interviennent d’abord et que ce sont elles qui entraînent les actes d’autodestruction. Mais je ne pense pas que l’objectif de l’acte soit de me détruire.
— Quel est l’objectif alors ?
— D’échapper. La fuite est le plus vieux des réflexes de l’animal. C’est un réflexe fondamental, universel. Même les créatures les plus craintives n’hésitent pas à fuir vers un danger inconnu pour échapper à un danger qu’elles connaissent.
— Mais Spence, dit Ari le souffle coupé, qui, ou quelle chose, pourrait vous vouloir du mal ?
— Je ne sais pas. Pas encore. Mais j’ai bien l’intention de le découvrir. » Il lut son inquiétude en regardant Ari : elle se mordait la lèvre inférieure et son visage s’assombrissait. « Je sais que tout cela paraît extravagant. Vous devez penser que je suis fou à lier. Pourquoi inventer des ennemis invisibles ? Pourquoi élaborer sur des faits des théories fantaisistes quand ceux-ci peuvent s’expliquer plus simplement à partir de principes connus ? Je me suis posé ces questions des milliers de fois au cours de ces dernières vingt quatre heures. Mais il y a quelque chose en moi qui se refuse à accepter l’autre explication. Et pour le moment, c’est tout ce dont je dispose. »
Ari se pencha vers lui et plaça ses mains sur les siennes. Elle le regarda droit dans les yeux et dit : « Je vous crois, Spence.
— Vraiment ?
— Oui. Parce que je pense qu’aucune personne atteinte d’une telle souffrance ne pourrait en parler comme vous le faites, si objectivement, avec une telle logique. Alors, je vous crois.
— Je n’ai jamais pensé que cela serait facile. Je veux dire qu’il y aurait de bonnes raisons de m’enfermer avant que je ne me fasse du mal, à moi-même ou à quelqu’un d’autre. Mais… vous ne croyez pas que je sois en train de devenir fou ?
— Non. Quelle que soit la cause de ces… ces crises, elle doit venir de l’extérieur.
— C’est exactement cela, Ari. Vous l’avez dit. C’est quelque chose d’extérieur à moi-même. Quelque chose que je sens planer sur moi. Une présence… c’est difficile à décrire.
— Mais comment est-ce possible ? »
Spence serra les poings. « Je ne sais pas. J’ose à peine croire une telle chose possible. Mais c’est l’impression que j’ai parfois.
— Cela a été, monsieur ? » demanda le garçon. Depuis combien de temps était-il là, Spence n’aurait pu le dire. Il constata avec surprise que la table avait été débarrassée ; il avait été si absorbé par son histoire qu’il ne l’avait pas vu emporter les assiettes.
« C’était parfait, merci.
— Très bien, monsieur. Je vous apporte l’addition.
— Merci, Spence. C’était un merveilleux déjeuner.
— Un peu effrayant tout de même.
— Non, sincèrement. Je ne peux pas dire que j’ai trouvé la conversation très drôle en apprenant tout ce qui vous arrive. Mais cela m’a fait plaisir de passer un moment avec vous. » Le garçon apporta la note sur un plateau d’argent et la plaça devant Spence en lui tendant un stylo en argent. Il signa et inscrit son numéro de compte personnel.
« Merci beaucoup, monsieur. Au plaisir de vous revoir bientôt. » Le maître d’hôtel se retourna et fit un signe de la main : un jeune homme en veste blanche apparut avec une cafetière en argent et il remplit leurs tasses de porcelaine. Il plaça entre eux une petite coupe en argent contenant quatre fondants roses à la menthe en forme de bouton de rose.
Spence, songeur, dégustait son café. Ari voyait qu’il était en train de peser avec la plus grande précaution ce qu’il allait dire.
« Ari, je vous ai raconté tout cela parce que je veux vous demander un service.
— Allez-y.
— Ce n’est pas grand-chose, mais c’est important pour moi. Cela va vous paraître stupide.
— Mais non. Après tout ce que vous m’avez dit aujourd’hui. Je pense qu’il n’y a rien de stupide dans tout cela. Je pense que c’est extrêmement sérieux.
— Eh bien, votre père m’a demandé de faire partie de l’expédition exploratoire sur Mars concernant le projet sur l’origine des planètes.
— Je m’en souviens. J’étais là quand il vous l’a demandé.
— C’est vrai. Le fait est que j’ai accepté sa proposition. Je vais faire partie de l’expédition. Seulement personne ne doit le savoir. Et c’est là que vous intervenez. Je voudrais que vous fassiez en sorte que toutes les préparations nécessaires soient faites sans que personne, en dehors de votre père et de son entourage immédiat, soit au courant. Est-ce possible ?
— Je pense que oui. Je peux essayer. Mais, Spence, pensez-vous que cela soit prudent ? Vous serez parti pour longtemps : tout peut arriver. Vous pouvez avoir de nouveau des pertes de conscience et là-bas personne ne pourra vous aider, pas d’assistance médicale.
— Je dois sortir d’ici. Vous comprenez ? C’est ici que les troubles ont commencé, et si je reste, ils continueront. Ils peuvent se manifester là-bas aussi, j’en suis conscient. Mais je me dois de prendre le risque. »
Ari n’était pas convaincue. Elle fronçait les sourcils. « Je n’aime pas cela. C’est trop dangereux. Pourquoi ne pas rester ici en vous arrangeant pour avoir quelqu’un qui surveille vos activités : votre assistant, par exemple. Ou vous faire suivre par le Dr Williams. Cela serait plus sensé.
— Vous avez dit sensé ?
— Désolée. C’est un choix de mot malheureux. Mais vous savez bien ce que je veux dire. Il vous a proposé de vous faire entrer pour un examen complet, physique et psychologique. Et il garderait tous les résultats secrets.
— Il vous en a parlé ? Et de quoi d’autre vous a-t-il parlé ? Qu’est-ce que vous avez mijoté tous les deux ?
— Rien, Spence. Je ne voulais rien insinuer.
— C’était quoi l’idée ? Me laisser parler jusqu’à ce que j’arrive à me convaincre moi-même d’aller me faire interner ? C’était cela que vous aviez imaginé ? »
Le brusque changement d’humeur de Spence avait fait peur à Ari. Ne sachant que faire, elle dit : « Écoutez, Spencer, je vais faire ce que vous me demandez. Je vais régler les détails du voyage et je m’arrangerai pour que personne ne soit au courant. Mais je veux que vous m’accordiez quelque chose. Laissez le Dr Williams vous examiner. Cela ne peut pas faire de mal. »
Il s’enfonça dans son siège en s’efforçant de dominer son mouvement d’humeur. Il continuait à la fixer et ce regard lui faisait peur. « Je vais y réfléchir », lâcha-t-il abruptement.
La minute suivante, il était debout et il s’était relevé si précipitamment qu’il avait fait tomber la chaise. Toutes les têtes se retournèrent à sa sortie intempestive du restaurant et les clients des tables voisines fixèrent leurs regards sur Ari en murmurant derrière leur serviette. Ari, ainsi exposée, se mit à rougir. Le maître d’hôtel ne fit qu’un bond et releva la chaise.
« Cela n’est rien, mademoiselle », dit-il, et avec élégance, il l’aida à se lever.
Les joues en feu, elle s’enfuit du restaurant.